A l'Est de la Haute-Loire ou du Velay et au Nord-Ouest de l’Ardèche ou du Vivarais, la région appelée "La Montagne" cultive deux traits d'originalité, nés de la géographie et de l'histoire spirituelle. Ces traits particularistes expliquent la réussite d'un type de montagne-refuge exemplaire pendant la Seconde Guerre mondiale.

Premièrement le fait géographique de la "Montagne" : un haut plateau de 500 km2 à 1.000 mètres d'altitude à cheval entre Velay et Haut-Vivarais, situé aux confins des départements de la Haute-Loire et de l'Ardèche. La Montagne regroupe 17 communes, dont les principales sont Le Chambon-sur-Lignon, Le Mazet-Saint-Voy et Tence en Haute-Loire, Mars, Devesset et Saint-Agrève en Ardèche sur trois cantons (Tence et Fay-sur-Lignon en Haute-Loire, Saint-Agrève en Ardèche). Nous sommes sur une ligne de séparation des eaux, entre bassin de la Loire et bassin du Rhône, frontière des régions dominées par Clermont-Ferrand, Lyon, sur un massif montagneux dénommé un peu abusivement "Cévennes". La notion de frontière montagnarde s’impose. Cette crête montagneuse s’appuie sur un haut-plateau granitique et volcanique avec un relief de pics -ou pey (podium en latin) Peybrousson au nord du Chambon- et de sucs avec la croupe du Mont Mézenc (1754 mètres) au Mont Lizieux (1391 mètres) et au Mont Meygal. La pierre phonolyte bleu-noir ou « lauze », extraite des carrières du Meygal, sert d’ardoise aux toitures, peut symboliser le pays, avec un sous-sol granitique que affleure. Le climat est froid et humide, avec la burle et le gel cinq mois par an -un mètre de congère en février-mars-. Les terres d’origine volcaniques sont fertiles, mais la rigueur du climat empêche la culture du blé-froment ; le blé-seigle, la pomme de terre, dominent. L’élevage domine avec la forêt de résineux, qui coupe du vent. Le torrent du Lignon commande ce haut-plateau, « maître » du pays selon l’abbé Manevy.

Deuxièmement le fait religieux et historique : sur 11.000 habitants, 9.000 protestants huguenots forment un îlot minoritaire sur douze paroisses, né au XVIe siècle vers 1559-1560. Les guerres de religions sont particulièrement rudes entre Velay et Haut-Vivarais de 1576 à 1600 ; l’édit de Nantes de 1598 est accepté difficilement. Ils subissent les persécutions aux XVIIe et XVIIIe siècles, à partir de la destruction des deux temples de Saint-Voy et du Chambon-du-Prieuré en 1679. S’en suit la période la plus dure jusqu’aux années 1750 faite de violence des Dragonnades contre « les nouveaux convertis », de prédication au Désert, du prophétisme de type « camisard », et de persécutions (amendes, emprisonnement, galères). L’édit de Tolérance de 1787 met un terme à cette période de tribulations et d’opiniâtreté dans la foi des ancêtres en restituant aux réformés un état civil. Sous la tempête révolutionnaire, cette minorité fait le gros dos, accueillant même les prêtres catholiques réfractaires. Ce n’est qu’en 1803 que le « consistoire de Saint-Voy » ou de la Montagne est organisée. Ces réformés calvinistes, avec des minorités dissidentes comme les "darbystes" nés dans l’esprit du « réveil » de la première moitié du XIXe siècle, sont très attachés à un moralisme de résistance et de liberté, à forte tonalité républicaine de gauche de 1848 à 1981, et à leur particularisme religieux et culturel. Le dialecte de l’enclave se distingue même de celui des catholiques environnants ; ces derniers manifestent cependant une certaine tolérance à leur égard. Cet esprit particulariste se manifeste concrètement et remarquablement entre 1941 et 1943 surtout avec l’accueil impressionnant de plusieurs centaines de réfugiés juifs. Face à l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, l’exode rural et au vieillissement, le XXe siècle voit un essai de transformation socio-économique du « Plateau Vivarais-Lignon », d’une microagriculture montagnarde, à une économie plus ouverte, basée sur la villégiature puis le tourisme « vert », aujourd’hui portée vers un développement diffus des nouvelles technologies. Mais le dernier vote, le référendum sur la Constitution européenne du 29 mai 2005, montre clairement et pour la première fois, la dualité qui existe entre une originale commune du Chambon-sur-Lignon plus aisée et internationale (52% de Oui) et les autres communes du Plateau (60% de Non) avec un type socio-économique plus imbriqué en Haute-Loire ou en Ardèche. Le facteur religieux particulariste n’est plus aussi déterminant à l’échelle du Plateau, ne serait-ce qu’à travers la déchristianisation, mais il marque encore l’originalité culturelle et économique du pays.

François BOULET, le 14 février 2006
Professeur agrégé
Docteur en histoire
Membre du conseil d’administration de la Société d’Histoire de la Montagne